Défense de la "dèsecclésialisation"
Vladimir GOLOVANOW

Défense de la "dèsecclésialisation" (1)
Père Pierre Meschtcherinov (2)

Dans son article "L'Eglise la culture et le nationalisme en Russie" Serge Tchapnine, fait référence à cet intéressant article du père Pierre Meschtcherinov paru en avril dernier sur religo.ru. Après en avoir donné l'essentiel ci-dessous j'en propose un commentaire personnel pour ouvrir le débat.

Émigration intérieure: avec un peu de provocation le père Pierre prend la défense de ceux qui s'isolent de l'Eglise, devenant "des émigrés intérieurs, comme au temps du pouvoir soviétique où c'était une réponse non-violente au mensonge du communisme", mais il le fait en fait pour accuser ceux qui prétendent faire de l'Eglise une "subculture normative".

En effet "la réception dans l'Eglise" (воцерковление) se fait principalement en "coinçant" le catéchumène dans des "règles", "une ecclésiologie purement superficielle": "une piété liturgique rigide, des pratiques de direction spirituelle autoritaires et mystificatrices, une morale et une spiritualité altérées, une pratique ascétique fondée sur le principe «l’homme pour le sabbat» et enfin un activisme politique passéiste et monarchiste" écrivait-il dans un article précédent (ibid note 2).

Défense de la "dèsecclésialisation"
Or, si des principes et règles simples peuvent se justifier au moment de l'apprentissage de la foi, elles ne peuvent donner la véritable "Vie en Jésus Christ" que doit rechercher tout Chrétien. En grandissant dans sa foi, le Chrétien individualise et personnalise sa relation à Dieu dans tout ce que Dieu lui donne concrètement, dans sa vie de tous les jours. Et ce faisant il sort des normes étriquées de la subculture normative, ce qui provoque un phénomène de rejet: "ceux qui parviennent à s’en émanciper sont considérés par la substructure comme des orgueilleux, des libéraux, des modernistes, « des apostats », des destructeurs des statuts de l’Eglise, etc."

"Et pourtant, dit le père Pierre Meschtcherinov , c'est un processus totalement normal et sein où le croyant murit dans sa foi et devient un Chrétien responsable, lui-même Eglise – membre du Corps du Christ, pour qui tout ce que propose l'Eglise devient moyen dont il dispose lui même pour vivre dans le Christ. Pour en garder l'authenticité contre la routine, ces croyants doivent se libérer du courant "ecclésio-subculturel": prendre leur propre mesure des jeunes, offices, préparations à l'Eucharistie, sortir du cadre infantile de la paternité spirituelle, analyser de façon critique telle ou telle formulation des Pères, séparer l'essence de l'Eglises des contingences politico-économico-idéologiques actuelles et même, d'une certaines façon, s'affranchir du poids de l'histoire de l'Eglise pour appréhender l'Eglise de façon personnelle plutôt qu'historique. Ainsi cette démarche est parfaitement légitime pour tous les croyants sincères (qui constituent toujours le "petit troupeau" comme il est écrit dans Luc 12,32).
Une entrée dans l'Eglise erronée entraine immanquablement, chez une personne qui tient à sa foi en Christ et à sa conscience, la volonté de s'élever au dessus de la substructure, après une période de participation, afin de trouver une plus grande plénitude de l'Evangile dans sa vie religieuse. Il y beaucoup d'exemples comme cela et c'est même cale qui doit être la voie standard pour une âme réellement croyante: c'est sur cette route là que se vérifie la parabole du Semeur."


"Une guérison" : "en fait, continue le père Pierre, il s'agit là "d'une guérison" de cette pseudo-spiritualité purement extérieure et idéologique. (…) Ces croyants le font sans bruit, sans tapage, en essayant de faire honnêtement ce qu'ils peuvent en eux-mêmes, dans leur famille, autour d'eux, sans tourner en rond dans la subculture des jeunes, des règles, des guides spirituels et du jargon spécofique, et en échappant aux conséquences néfaste de cette subculture: le nivellement de la moralité humaine. Et c'est là que se construit le Christianisme au quotidien. Ce processus a cela de positif que, le plus souvent, il conduit non pas à une chute dans les pêchers, mais à cette construction de la personnalité chrétienne qui devrait être l'objectif d'un véritable catéchuménat et de la pédagogie ecclésiale."

Mon commentaire (VG): deux approches qui doivent se rejoindre.

Cet article jette une lumière crue sur la réalité de l'Orthodoxie en Russie (et pas seulement là!), bien dans la ligne habituelle du père Pierre qui écrivait dans l'article précédemment cité "L’Orthodoxie /doit être/ une tradition évangélique et patristique profonde, un christianisme authentique, dans lequel l’homme trouve la vie en Christ, la joie, la liberté, la sagesse, l’immortalité.

Mais cette Orthodoxie existe dans la tête (…) de quelques centaines, peut-être de quelques milliers d’orthodoxes de Russie /et elle/ n’a presque rien à voir avec la vie ecclésiale réelle. Dans la réalité, l’orthodoxie est autre: une piété liturgique rigide, des pratiques de direction spirituelle autoritaires et mystificatrices, une morale et une spiritualité altérées, une pratique ascétique fondée sur le principe «l’homme pour le sabbat», et enfin un activisme politique passéiste et monarchiste (...). J’évoque cela en dehors de tout jugement de valeur, me contentant d’énoncer un fait.
L’orthodoxie réelle aujourd’hui en Russie est précisément ainsi". Un autre observateur de cette réalité, le père Georges Mitrofanov, écrit "dans la vie paroissiale d’aujourd’hui, on n’éprouve souvent nul besoin du Christ, au lieu de quoi est réclamé «tout un ensemble de mesures de type psychothérapeutique, un catalogue de saints rappelant les listes de spécialistes dans les hôpitaux.» Autrement dit ce qu’on cherche n’est pas le Christ mais une religiosité diluée dans une sentimentalité religieuse, ce qui nous ramène dans une dimension païenne", et il parle ailleurs de "la perte de la dimension liturgique de l’eschatologie, qui est réduite à un «épouvantail pour le peuple»"(3)

Et nous voyons en fait se concrétiser les deux réalités de l'Orthodoxie actuelle qu'avait déjà soulignées le père Alexandre Schmemann:
- d'une part cette subculture normative, conservatrice, cherchant à imposer à tous des règles et des recettes qui ont en fait été développées par et pour les moines; l'accent est mis sur le respect des normes de l'ascèse corporelle pour accéder au Salut et l'attente du Jugement Dernier en craignant la punition des fautes.

- de l'autre une Orthodoxie ouverte, plus libérale, où l'accent est mis sur la recherche personnelle et l'appréhension individuelle des consignes traditionnelles permettant une authenticité de la vie quotidienne en Jésus Christ; ses tenants mettent en avant les réponses que l'Orthodoxie doit apporter aux défis du monde actuel et sur la joie du Chrétien comme témoignage du Règne présent et à venir: "L’eucharistie c’est l’Église qui entre dans la joie de son Maître" écrit le père Alexandre Schmemann (4).

Si, comme l'écrit Serge Tchapnine (ibid), la première orientation est la plus représentée parmi les prêtres de paroisses et leurs fidèles, les principaux responsables de l'Eglise russe penchent plutôt pour la seconde, patriarche Cyrile en tête comme le montrent tant ses écrits quand il était métropolite de Smolensk que les prises de position de ses principaux porte-paroles… Mais faut-il vraiment opposer ces deux approches? L'intransigeance des tenants de la subculture normative, que dénonce l'article du père Pierre est-elle vraiment justifiée? Pour moi il n'en est rien et ces deux approches sont en fait complémentaires: si la première convient bien à certaines personnes, qui préfèrent la sécurité d'un système normatif, la seconde permet aux croyants les plus créatifs de dépasser ces cadres pour vivre une vie chrétienne plus riche et plus naturelle. D'ailleurs ce n'est pas le système normatif en tant que tel que dénoncent le père Pierre et les autres tenants de cette approche, mais uniquement ses excès et sa prétention à l'universalité, car tous reconnaissent bien que ces règles normatives constituent une base et un point de départ incontournables pour qui veut véritablement comprendre et rejoindre l'Orthodoxie.
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Notes

(1) Néologisme pour traduire "расцерковление", mot nouveau désignant le processus de rupture avec l'Eglise. Le père Pierre l'utilise dans le cas de fidèles voulant rester Orthodoxes mais perdant confiance dans l'institution ecclésiale

(2) L'higoumène Pierre Meschtcherinov est un écrivain religieux connu en Russie et à l'étranger. Débat sur l'état de l'Église
(3) Un débat au sujet du « Journal » du père Alexandre Schmemann
(4) Pagesorthodoxes


Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 10 Septembre 2011 à 14:13 | 13 commentaires | Permalien



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